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D’autres policiers se présentèrent le lendemain : les péquenots du coin, cette fois, accompagnés d’un maigrichon porteur d’une boîte qui ne pouvait contenir qu’une machine sténographique. Annie les accueillit dans l’allée et les écouta, le visage dépourvu d’expression. Puis elle les conduisit dans la cuisine.
Paul resta tranquillement assis, un bloc sténo lui aussi sur les genoux (il avait fini son dernier bloc de format normal la veille), et écouta Annie faire sa déposition, c’est-à-dire répéter tout ce qu’elle avait dit à David et Goliath quatre jours auparavant. Ce n’était, songea Paul, que le pur plaisir de lui faire des tracasseries. Il fut amusé et terrifié de se rendre compte qu’il se sentait un peu désolé pour Annie Wilkes.
Le flic de Sidewinder qui lui posa la plupart des questions commença par lui dire qu’elle pouvait se faire assister d’un avocat si elle le voulait. Mais Annie avait refusé et simplement répété son histoire. Paul ne releva aucune contradiction.
Ils restèrent une demi-heure dans la cuisine. Vers la fin de l’entretien, l’un d’eux lui demanda comment elle s’était fait ces horribles entailles au front.
« Pendant la nuit, dit-elle. J’ai fait un mauvais rêve.
— Qu’est-ce que c’était ?
— J’ai rêvé que les gens se souvenaient de moi, après tout ce temps, et recommençaient à me harceler », répondit-elle.
Quand ils furent partis, Annie vint dans sa chambre. Elle avait son visage en mie de pain, l’air distant et maladif.
« On commencerait à se croire à la gare de New York, ici », dit Paul.
Elle ne sourit pas.
« Combien de temps encore ? »
Il hésita, regarda la pile du manuscrit sur laquelle s’entassait maintenant le tas informe des pages écrites à la main, puis ses yeux revinrent sur Annie.
« Deux jours, répondit-il, peut-être trois.
— La prochaine fois qu’ils viendront, ils auront un mandat de perquisition », dit-elle, partant avant qu’il eût le temps de répondre.